OUT of Kenya
Tranches de vie d´une famille franco-espagnole
partie s´installer dans le Mara
Nos voisins les Maasai
En bordure de la Réserve Nationale, notre campement se dresse dans la zone des réserves privées du Mara où cohabitent les animaux domestiques, la faune sauvage, les nombreux villages maasai appelés manyattas et les rares villages mixtes comme Mara Rianda plaque-tournante du commerce dans la région. Victimes d´ostracisme y compris jusque dans leurs terres, les Maasais sont habituellement cantonnés aux rôles de guides et d´agents de sécurité (escaris) dans les grands "lodges" touristiques du Mara. A Kandili Camp, comme dans d´autres petits campements, les Maasais composent la quasi totalité des employés. Originaires des manyattas voisines (la plus proche étant à moins de deux kilomètres de notre réserve) William, Emmanuel, Alex, Gabriel, John mark, Bernard, Cole, Mariko, Joshua, Giléa, Peter, Edward, Dixon, Dunson, Seko, Waweru (Maasai d´adoption) et tant d´autres ont été les compagnons de route avec lesquels nous avons partagé notre vie pendant deux ans et appris, ensemble, à construire et à gérer cet hôtel de tentes. Ils nous ont protégés des dangers de la vie sauvage. Ils nous ont ouvert la porte de leurs maisons et de leur culture, contribuant plus qu´ils ne l´imaginent à l´éducation de notre fils Lucas. Et comme dans une famille recomposée, nous nous sommes tour à tour épaulés, engueulés et avons déteints les uns sur les autres. Naturellement. Sans idées préconçues. Evitant les jugements de valeur; conscients de nos différences insurmontables et de cette humanité qui nous rapproche malgré tout.
Bien que représentant à peine 2% de la population au Kenya, les Maasais en sont l´étendard touristique: le guerrier aux traditions millénaires vêtu de shukas colorées, fiers pasteurs et tueurs de lions à l´occasion. La réalité est bien sûr plus complexe mais finalement pas si différente de la carte postale dont les touristes abusent avec délectation sautant pieds joints vêtus de colliers multicolores dans les manyattas. Comme les Turkanas plus au Nord et leurs cousins Samburus, les Maasais résistent jusqu´à présent à l´inexorable occidentalisation de la vie qui déteint sur les autres tribus kenyane.
A défaut de tuer les lions, apanage d´une tradition exclusivement masculine sur le déclin, les femmes se taillent la part du lion des activités quotidiennes : collecte du bois, de l´eau, cuisine, avitaillement, éducation des enfants, construction de la hutte... La tradition polygame attribue un foyer par femme : une maison basse de deux pièces en général faite d´un mélange de terre et de bouse de vache sans autre fenêtre qu´un trou de la taille d´une balle de tennis, construite par les femmes parfois aidées d´un mari "compréhensif" se chargant alors de l´ossature en bois qui soutient la structure. Les hommes s´acquittent de la dote à la belle famille – la polygamie n´est pas une affaire de pauvres car il faut compter entre 8 et 12 vaches au désespoir de certains jeunes que leurs familles ne peuvent les aider à épouser plusieurs femmes – et s´occupent du troupeau familial quand ils ne délèguent pas à leur fils ou à un employé ce qui leur laisse le loisir de l´oisiveté pour certains, l´opportunité de travailler dans un des nombreux campements touristiques pour d´autres et ainsi de faire grossir leur troupeau plus rapidement.
Dieu dans sa bonté infinie leur a donné les vaches et la Nature qu´ils respectent avec ferveur. Les Maasais ne cultivent pas - comment concevoir de labourer cette terre bénie? - et ne chassent pas les animaux sauvages ce qui serait un péché au moins aussi grand. Les histoires de lions, de hyènes (la plus haïe car la plus meurtrière) et de léopards (le plus dangereux des trois) tués sont pourtant monnaie courante autour du feu de camp mais il s´agit à chaque fois d´auto-défense. Les troupeaux, tantôt de vaches tantôt de chèvres mélangées aux moutons, sont des proies extrêmement faciles pour les prédateurs et ne doivent leur salut qu´au courage de leurs bergers maasais. Armés de leur panga (machette d´une trentaine de centimètres), de leur rungu (marteau de bois d´olive) et pour les plus prudents, d´une lance à double pointe (un pic métallique pour les lancers à distance et une lame de forme ovale extrêmement coupante utilisée pour les corps à corps), les Maasais ne craignent que les buffles et les hippopotames - imprévisibles et violents sans qu´on puisse toujours en comprendre les raisons - et n´ont qu´une seule phobie: les reptiles. Qu´il soit inoffensif, petit ou lent, un serpent fera détaler 95% des maasais et il est hors de question pour la majorité d´entre eux de toucher l´animal une fois mort.
L´incroyable biodiversité de l´écosystème du Mara et du Serengenti tanzanien attenant (également peuplé majoritairement de Maasais) doit autant la densité et la variété de sa faune à la pluie irriguant les riches pâturages de la savane bordant la rivière Mara qu´à la protection séculaire dont elle a jouit de ses gardiens maasais. Mais les temps changent et cette coexistence pacifique entre entre les animaux sauvages et le bétail Maasai atteint ses limites dans le Mara. Les Maasais, expropriés par l´administration coloniale britannique avide de récupérer leurs terres fertiles (en particulier tout autour de Narok) les a repoussés plus au sud réduisant significativement les zones de pâturages. Le processus de sédentarisation, commencé après l´indépendance en compensation de cette injustice avec l´attribution par le gouvernement de terres aux manyattas maasais, est devenu inexorable. Les manyattas grossissent et se reproduisent un peu plus loin quand l´ovale de la place centrale est complet mais elles ne se déplacent plus. Le tourisme a parachevé le phénomène dans le Mara (la situation est je crois très différente dans d´autre zones maasai moins touristiques comme Amboseli) en attribuant une valeur pécuniaire à ces terres qui sont aujourd´hui louées dans leur grande majorité aux réserves privées et aux autres «lodges» touristiques.
Cette manne financière a permis pêle-mêle l´apparition des premières maisons en pierres dans les manyattas, le financement des dispensaires et d´ambulances tout terrain, l´amélioration des pistes et la multiplication des écoles. Mais le poids des traditions est tel qu´une grande partie de cet argent est investit dans l´accroissement du cheptel, reflet du standing social et base fondamentale de l´épargne, alors que les zones de pâturages sont saturées. Les conflits sont alors quotidiens entre les tenants de la vie sauvage et les propriétaires des troupeaux domestiques qui, paradoxalement, sont financés indirectement par les premiers à qui ils louent leurs terres.
Difficile de juger des critères qui définissent le progrès. Difficile de s´opposer et de sélectionner entre les multiples conséquences de l´inexorable globalisation dont l´impact "comptable" sur le niveau de vie des Kenyans dans le Mara est indéniablement positif. Un mode de vie exclusivement pastoral dont le déséquilibre est accéléré par l´apparition de la propriété privée et par l´argent du tourisme (qui bénéficie pourtant de façon relativement minoritaire aux Maasais), un cheptel trop important pour être nourri de manière adéquate, une vache essentiellement utilisée de manière spéculative (elle est très peu consommée par les Maasais et ne répond pas aux critères sanitaires nécessaires pour être vendue aux grandes chaines de distribution), le contact avec les touristes occidentaux et les autres éthnies qui ont immigré dans le Mara pour tenir le petit commerce et l´artisanat, l´éducation qui commence timidement à faire partir les jeunes les plus instruits et la sédentarisation du cadre de vie (même si les troupeaux de vaches continuent d´être nomades la plus grande partie de l´année) sont autant de défis pour la culture maasai qui a assurément atteint un tournant dans la région du Mara aux conséquences imprévisibles.