OUT of Kenya
Tranches de vie d´une famille franco-espagnole
partie s´installer dans le Mara
Dans l´avion du retour
Je n'arrive pas à dormir ce soir dans l'avion de retour vers l'Europe. Trop d'images dans la tête, trop de sensations à fleur de peau, un coeur encore à vif des adieux à cette terre et à ces gens, un corps encore tendu par les efforts accumulés.
Deux ans d'Afrique...
J ai touché des cadavres d'animaux, le ventre gonflé par les gaz jusqu'à ce qu'arrivent les hyènes pour leur ouvrir les entrailles et les vautours pour leur arracher les yeux. J'ai senti plus que de raison l'odeur de la mort - mélange d'herbe non digérée, de terre labourée, de sang et de sueur. J'ai d'abord tué puis appris à attraper les serpents vivants afin de les éloigner du campement.
J'ai marché au milieu des détritus, des routes et des enfants de rue défoncés, couru avec Lucas pour traverser des autoroutes sans pont ni éclairage la nuit, j'ai traversé sans le savoir les cordons de police "bloquant" l'accès à Westgate, j'ai fait mes courses dans le marché à ciel ouvert de Gikomba victime quelques semaines plus tard d'un attentat terroriste.
J'ai vu la mort de face sur une corniche dans les phares d un camion arrivant en sens contraire, j'ai vu le corps d'un motard désarticulé couché sur un lit d'asphalte et un oreiller rouge sang, j'ai vu sa femme arriver sur les lieux criant vers le ciel, prenant la tête entre ses mains, se courbant sous le poids de la douleur, les mains sur les genoux devant la foule amassée de voyeurs compatissants.
J'ai marché de nuit parmi les lions et les hyènes protégé par une lampe torche et une règle non écrite et tenue de respect mutuel de nos territoires respectifs. J'ai gueulé comme un putois et tapé dans mes mains pour effrayer un troupeau d'éléphants sur le chemin de la pompe à eau. J'ai écouté les hyènes hurler autour de moi la nuit tombée à 1km du campement sans lumière, armé des seules pierres qui m'entouraient.
J'ai admiré ces nuits de pleine lune immaculée, j'ai plongé mes yeux dans l´extraordinaire voute céleste des nuits sans nuage ni lumière artificielle de la savane africaine et me suis laissé aspirer par elle. J'ai volé dans la sérénité du petit matin, carte postale d'une nature parfaite parce-que vivante et préservée.
J'ai crevé jusqu'à trois fois dans un même voyage (il était temps de changer les pneus), j'ai cassé puis réparé ma voiture avec les moyens du bord pour atteindre à chaque fois ma destination ou le mécanicien suivant, j'ai crié devant mon 4x4 défoncé, couché sur le côté avec cinq employés à bord et une fracture ouverte, fait bouillir à maintes reprises le moteur de ma landrover puis l'ai refroidi en collectant l'eau de pluie dans des bouteilles en plastique. J'ai embourbé trois camions, passé la nuit dans un 10 tonnes coincé sur une piste détrempée avec Lucas sur mes genoux.
J'ai senti la rage au fond de moi, j'ai crié sur les miens, pris par le col plus d'un Maasai oubliant qu'il était armé - j'ai senti ce côté primitif, ce côté obscur qui nous durci, qui "abruti" l'Occidental en Afrique. J'ai donné la main parfois, reçu de l'aide plus souvent. .
J'ai admiré les paysages, ces couchers de soleil chaque jour différents, cette nature préservée, cette faune comme nulle part ailleurs dans le monde. J'ai retrouvé mon père en Afrique que je croyais originaire du Portugal.
J'ai fermé la porte de mon landcruiser en acier sur mon pouce droit, fait tomber les 30kg de ma batterie sur mon pied, me suis endormi à 20h15 mort de fatigue sans dîner et réveillé en pleine nuit préoccupé par les problèmes du lendemain. Je n'ai pas compté les blessures, les piqûres et les tendinites, j'ai usé de la pelle à m'en brûler les mains, j'ai déplacé des pierres jusqu'à pouvoir compter mes abdominaux. J'ai maigri sans pouvoir me peser faute de bascule.
Je suis tombé à genoux, un soir de janvier sous la pluie après le passage d'une tempête emportant la moitié des tentes du campement. "Les tentes", me criait Waweru au téléphone 30 minutes plus tôt alors que j'étais coincé au village pour réparer la voiture, "elles ne sont plus là!!!!". J'ai vacillé, pleuré sans larme et sans bruit puis nous nous sommes mis au travail. Lutte contre le temps, contre la nuit, après la guerre perdue contre les éléments: il a fallu récupérer nos habits et objets personnels éparpillés tout autour des débris de notre "maison", collecter les matelas, les meubles cassés jusqu'à plus de 100 m. de leur position originale, mettre à l'abri ce qui pouvait l'être, récupérer les appareils électriques détrempés avant que le noir ne recouvre le Mara, que les employés ne rentrent chez eux avant la nuit (il ne fait pas bon marcher dans le noir en pleine savane) et que je ne m'écroule, seul, sur un lit de fortune d'une tente à moitié déchirée, le sol couvert de livres et d'habits éparpillés.
Jamais je n'ai jamais eu peur. J'ai trébuché et me suis trompé à maintes reprises mais rarement j'ai douté - faute de temps probablement. Je me suis parfois inquiété, chaque voyage sur les pistes défoncées, les routes meurtrières me rappelant ma responsabilité envers les miens. Mais chaque trajet nous a conduits à bon port. Chaque épreuve a pu être surmontée. Chaque erreur, réparée. La vie est la plus forte en Afrique - la mort si présente ne cesse de nous le rappeler. Tout peut empirer très vite mais tout finit toujours par s'arranger. Parce-que c'est dans l'ordre des choses. Parce que quelqu´un viendra vous aider. Parce que le soleil se lève tous les matins et sèche les problèmes de la veille. Parce que, les familles et les voisins soutiendront moralement et financièrement ceux qui ont perdu les leurs. Parce que la terre est riche et que personne dans la vallée du rift ne meure de faim. Parce que le fatalisme et la solidarité aident à accepter la vie. Parce-que la vie sauvage s'équilibre naturellement.
Je me suis perdu plusieurs fois dans le noir du Mara. Perdu puis retrouvé aux côté de mes compagnons de voyage : un petit Maasai blond vivant cette aventure avec naturel et un bout de femme cuyos ovarios son mas grandes que los huevos de Sancho Villa durante la revolución.
Bienvenidos a casa familia. La vida nos sonrie - esta por delante.
Besos amores.