OUT of Kenya
Tranches de vie d´une famille franco-espagnole
partie s´installer dans le Mara
Hakuna matata
fatalité & raison de vivre
Travailler en Afrique est tout sauf zen - précisément parce-que tout le monde l’est trop. Les sourires, le calme et la patience dans les bons jours; la nonchalance, l'absence d'initiative et la faible productivité dans les mauvais génèrent les retards, les erreurs et les surcoûts sans que personne ne s'en inquiètent si ce n'est le muzungu (le Blanc) dont la patience se consume inexorablement et finit par exploser devant un public surpris par un comportement si éloigné de leur us et coutumes. L'impatience est un luxe occidental: celui d'avoir trop à faire. Et la patience n'est pas une vertu dans le Mara mais la conséquence naturelle du désœuvrement.
La notion du temps est élastique et chaque transaction est vécue comme la dernière (celle dont l'économie du mois tout entier dépend) et les négociations se vivent en mode continu (toute excuse est motif à rouvrir un accord préalable). Les risques - perdre un client fidèle, retards, etc... ne sont pas pris en considération - la notion de futur étant finalement un concept de riche. Seul le présent compte, tirer le meilleur parti de la situation actuelle car on ne sait ce que demain nous réservera.
Fossé culturel, difficultés pratiques dues à l'éloignement du campement; le chantier a tenu à parts égales du musée des horreurs... et de la cour des miracles. Les problèmes se sont accumulés: retards en tout genre, fausses excuses (je ne compte pas les accidents et maladies "graves" des parents proches des artisans ayant travaillé sur le chantier, renégociations quotidiennes des accords commerciaux (toujours plus...), deux coupures d'eau de plus de 5 jours, un orage brutal cassant la moitié des terrasses, un camion de transport bloqué dans la boue toute une nuit (votre serviteur et son fils essayant de dormir dans la cabine de pilotage), une voiture couchée sur le flanc par un employé trop pressé avec 4 passagers à bord et des pannes de voiture à répétition parfois en pleine nuit à deux pas du milieu de nulle part parmi les animaux sauvages... Les risques partout présents, les filets de protection presque toujours absents mais la chance - parfois, la débrouillardise africaine - souvent, et la volonté - toujours finissent par s'imposer.
La gestion du camp et de nos équipes n'est pas plus facile. Comment bien dresser une table, faire le ménage ou simplement faire un lit quand on n´a ni couverts, ni table, ni matelas, ni draps, ni salle de bain, ni même eau courante chez soi?
Mais l’Afrique commence à déteindre sur nous: les problèmes font partie du cours normal de la vie et ils ne sont graves que si ont leur donne de l'importance. La fatalité est presque une religion sous ces latitudes. Tout comme la religion (la vraie... enfin, j'ai encore quelques doutes...), la fatalité rend la vie plus facile, plus acceptable pour le moins, mais inhibe également tout sentiment de révolte et de changement. Un vrai frein au développement: pourquoi réparer la route si demain il risque de pleuvoir? Pourquoi ajouter une cheminée à sa maison traditionnelle (à l origine de nombreux problèmes pulmonaires) quand les ancêtres ont toujours faits ainsi? Pourquoi luter contre la Malaria si les insectes sont si nombreux? Pourquoi penser à demain quand la vie s'écoule aujourd'hui?
Et le sourire au bord des lèvres. Toujours. En toutes circonstances.