Aujourd hui, un homme en a poignardé un autre. Ils ont bu, ils se sont fâchés, le premier a sorti sa panga (1), l'a plantée dans le flanc du second et l'a remuée quand il ne pouvait pas l'enfoncer plus loin.
Les histoires sont souvent exagérées par ici, comme si la cruauté de la vie, cette facilité avec laquelle elle bascule vers la douleur et la mort exigeaient une surenchère et une mise en scène théâtrale pour qu'elles soient dignes d'être transmises. Les deux hommes étaient soûls de cet alcool à cent kenya shilling la bouteille qui détruit les neurones à défaut du portefeuille. L´inactivité, le manque de travail, l'argent des touristes, la facilité, des repères et une culture qui s'affaiblissent, des guerriers sans guerre dont les femmes s'occupent de tout; beaucoup ne boivent pas à Mara Rianda mais ceux qui le font compensent pour tous les autres (2).
Le frère Luo de mon chef assistant qui ne se réveille pas au petit matin il y a deux semaines. Le fils Maasai d´un des propriétaires des terrains où Kandili Camp est construit, HIV positif, alcoolique et queutard dont la course à l'autodestruction entraine quelques prostituées dans son sillage et qui prend fin brutalement 2 jours plus tôt.
Les deux amis fâchés d'hier soir s'en sortiront mieux. Le premier après palabres et discussions a finalement été transféré menottes aux mains à Narok, la capitale Maasai où il sera jugé par le gouvernement central (3). Le second est miraculeusement hors de danger, la lame a évité la colonne vertébrale et le seul rein qui lui restait, le médecin du dispensaire du village a réussi à contenir le sang fluidifié par l'alcool, l'absence de pluie des derniers jours a permis à l'ambulance de parcourir sans problème les 140km de pistes et les 70km de goudron séparant le dispensaire où il serait mort de l'hôpital où il a survécu. Tout est bien qui finit bien: il pourra sortir dans deux ou trois jours et continuer à boire dans la foulée.
Les voisins solidaires consolent et aident les familles des victimes, les écoles répètent leur spectacle de fin d'année, les commerçants se plaignent du manque de clients, les hommes iront aux obsèques du mauvais fils, les mamas prient et mon épicier somalien père de 9 enfants à 28 ans m'explique que c’est bien peu et qu'il en veut trente comme son père.
Une mauvaise semaine qui se termine, des jours meilleurs viendront assurément.
Hakuna matata. La vie continue à Mara Rianda.
(1) machette (en maa, la langue maasai) pourvue d´une lame de 30cm environ
(2) cf le post "Nos voisins maasais"
(3) il existe une justice "parallèle" chez les Maasais où les chefs des Manyattas (voire du district où de la région en fonction des parties impliquées) font office de médiateurs et de juges en cas de conflit. La cohésion de la communauté et le respect de la parole de l´ancien sont telles qu´elle est traditionnellement la voie préférée des Maasais pour résoudre un problème.