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Le jour où notre maison s´est envolée

Notre maison s'est envolée un soir de janvier. Littéralement. Les nuages s´étaient accumulés très tôt dans l´après-midi assombrissant le ciel plus rapidement et plus intensément que de coutume. Le vent s´était alors levé pour nous prévenir de la pluie imminente mais au lieu de retomber avec les premières gouttes; sa puissance s´était accrue au fil des minutes engageant la pluie dans un duel qui ne présageait rien de bon. Sans que personne ne puisse prévoir sa trajectoire longeant dans un premier temps le plateau d´Olooloo, l´épicentre de la masse nuageuse d´une noirceur devenue terrifiante avait finalement dévié sa route aux abords de Mara Rianda pour venir se déchirer sur notre campement.


La nuit tomba brutalement à quatre heures de l´après-midi – à moins que ce ne fût la fin du monde. Impossible de bouger, de ne pas être mouillé jusqu´aux os et de savoir sous quelle structure suffisamment solide se tenir à défaut de se protéger. Impossible de ne pas avoir peur. Quarante minutes de frissons pour démontrer - comme si c´était nécessaire en Afrique - que les éléments sont les plus forts et que les humains sont peu de chose, au mieux de passage sur cette Terre. Un tonnerre assourdissant; des bruits de craquements secs et puissants; de l´eau fouettant avec une violence inouïe le sol et les tentes; des torrents d´eau dévalant sur le terrain en pente douce inondant sans ambages les tentes et le restaurant ouvert de toutes parts; des objets trop légers s´envolant au gré des bourrasques. Tout augurait du désastre de cette bataille inégale se jouant entre des tentes naïvement plantées dans la terre et la sauvagerie des éléments dans leur vérité la plus crue et la plus primitive.


« Les grandes tentes », cria Waweru dans son portable depuis la réception, « elles ne sont plus là » ! Comment ça plus la ? Je ne les vois plus. Tu veux dire que tu ne les vois pas? Non, non, je crois qu´elle ne sont plus là. Le bruit de la tempête en stéréo, la pluie qui m´aveuglait et me glaçait, comment comprendre ce que Waweru cherchait à me dire. Comment assimiler en temps réel l´effrayante réalité?


La pluie prit finalement son congé lassée par ce terrain de jeu devenu trop petit pour lui contester sa supériorité. La lumière s´invita de nouveau avec timidité. L´eau continua de dévaler sur le sol mais presque pacifiquement. Le calme s´installa comme suspendu à un fil ténu, à la sourde inquiétude que tout pourrait recommencer. Pas un animal ne se manifesta. Interdits devant le spectacle de cette paix retrouvée - superbe et dramatique en parts égales - nous tardâmes à sortir de nos abris. Abasourdis et incertains, partagés entre le soulagement et l´appréhension instinctive du prix à payer pour cette liberté de mouvement retrouvée.


En bruit de fond, une cascade sourde et puissante en contrebas dans le creux de la vallée. Dans quel état sera le campement?


Ma tente avait disparu. Mes yeux étaient formels : l´espace où notre tente se dressait était maintenant vide mettant à nu une plateforme faite de pierres, de gros graviers et de sable défoncée en de multiples endroits. Un tourbillon s´était engouffré sous la structure métallique de plus de 8 mètres sur 5, arrachant les sardines impuissantes et la tente avait pris son envol retombant 30 mètres plus loin sur ce qu´on imaginait être le toit sans en être vraiment sûr tant il était difficile de distinguer le haut du bas dans cette scène irréelle. Les meubles avaient été expulsés déchirant les parois de ripstop, le water arraché de son socle de béton dont les débris s´éparpillaient sans logique sur l´herbe détrempée entourant la plateforme. Le sol en PVC beige clair de ce qui fut notre foyer trônait maintenant sur une crêpe ratée de toile vert kaki et un amas de barres métalliques tordues, entremêlées comme dans un jeu de mikado. La douche et le lavabo de la salle de bain gisaient sur le sol et un bout du lit King size dépassait par ce qui devait être une fenêtre - à moins que ce ne soit au travers d´un bout de toile déchirée. Les valises ouvertes et renversés dans l´eau, les jouets de Lucas semés au vent, les livres détrempés par dizaines flottaient sur le marais qui entourait la plateforme et à 100 mètres de là, un matelas recouvrait des arbustes autant surpris que reconnaissants pour cet abri inespéré.


Waweru et Alex arpentaient le campement tels des zombies au rythme d´une bande sonore mêlant leurs gémissements peinés devant les restes de cette implacable furie et le bruit de leur pas lourds martelant l´eau omniprésente. Je m´accroupis, toucha le sol de mes mains noires comme pour m´assurer qu´il ne bougerait plus et pleura sans larmes et en silence. Bloqué, interdit face au spectacle de ce qui fut l´abris de ma famille au cours de ces 6 derniers mois. Et si Lucas avait été dans la tente ?.. Et si le rêve avait viré au cauchemar ?


Les tentes voisines avaient résisté. Quelques déchirures ici et là mais les structures métalliques étaient toujours sur pied. Les grandes tentes – deux pièces de plus de 60m2 sous un toit de 8m sur 14m – étaient elles, très endommagées. La première était toujours sur pied mais la moitié des poteaux métalliques de 5 cm de section étaient pliés comme les pates arrières d´un chameau ne pouvant soutenir le poids d´une charge trop lourde et sur le point de s’écrouler en grand écart. La deuxième ressemblait à une hotte trop grande que le Père Noël aurait accrochée à un traineau trop petit : un tout terrain garé par coïncidence devant la tente ce jour-là. Le véhicule avait freiné la tente dans son envol, la toile et les cordages s´accrochaient au corps de l´habitacle qu´ils recouvraient maintenant partiellement. Les meubles défoncés que l´on devinait sous les plis de la toile tirée de toute part s´entassaient dans cette hotte remplie jusqu´au débordement. Difficile d´imaginer que cet amas de matériaux ait pu un jour composer une tente de luxe. A trois cents mètres de là, dans la zone du staff, une tente était toujours sur pied. Les trois autres avaient disparu de la surface et une seule pouvait encore être vue à distance culminant à 5 mètres au-dessus du sol aplatie comme une couverture maasai qu´on aurait laissée sécher contre un arbre.


Il était 17h30 environ ; il nous restait un peu plus d´une heure avant que la nuit n´enveloppe de nouveau la savane. Les employés devaient rentrer chez eux mais cette pensée ne leur traversa même pas l´esprit. Alors économisant nos paroles nous nous mîmes au travail. Lutte contre le temps, contre la nuit, après la guerre perdue contre les éléments: récupérer les habits, les livres, les jouets, les documents du campement, les chéquiers, les objets personnels éparpillés tout autour des débris de notre "maison", collecter les matelas et les meubles cassés, mettre à l'abri ce qui pouvait l'être, récupérer les appareils électriques détrempés avant que la nuit ne gagne son combat journalier, que les employés ne rentrent chez eux apurant les dernières lueurs du jour (Il ne fait pas bon marcher dans le noir dans une savane foisonnant de prédateurs) et que je ne m'écroule, seul, le ventre vide et l´estomac noué, sur la couette tirée à la va-vite sur le matelas humide d´une tente ayant résisté, au sol et aux meubles couverts de livres et d'habits éparpillés pour qu´ils sèchent.

22h. Un vent léger et quelques moustiques cherchant un abri s´engouffrèrent à l’intérieur de ma nouvelle maison déchirée sur près d'un mètre au niveau du toit. Pourvu qu’il ne pleuve pas. Dans la nuit plus silencieuse qu´à l´accoutumée, seulement déchirée de temps à autre par les puissants rugissements gutturaux d’un lion visiblement indifférent à la situation, un tout terrain en mauvaise posture se fit entendre. Il patina pendant plus de quinze minutes sans que l’écho du bruit des roues renvoyé par les collines environnantes n’indique un quelconque déplacement. Alors que le silence était enfin revenu, mon portable se mit à vibrer sur la table de nuit débordante d’objets. Les vibrations firent place à une sonnerie, faisant fi de mes sourdes prières et un nom s´afficha sur l’écran, sans nul doute celui du conducteur ayant finalement admis sa défaite. J´hésitais longuement avant de décrocher. Je savais que si je le faisais, je devrais me rhabiller, sortir dans la nuit noire et conduire mon tout terrain dans la boue au risque d´y rester coincé à la recherche d´un point incertain dans l´obscurité de la savane sans garantie que ma Landrover puisse sortir cet imprudent du mauvais pas où il s´était mis tout seul pour avoir voulu défier prématurément la piste après une telle tempête.


Mais refuser son bras au plus mal loti n’est pas concevable dans le Mara. Toute la manyatta sera là demain spontanément à la première heure pour m’aider à me relever. Et le soleil, fidèle à son rendez-vous matinal, se lèvera pour sécher tout se foutoir, pour reconstruire et réparer les dégâts, pour nous sortir du trou où nous nous sommes embourbés et pour nous donner à tous le courage de redémarrer. Ensemble contre les éléments tantôt cléments tantôt destructeurs qui rythment la vie dans ce bout de savane africaine.


Les restes de notre tente le lendemain (après nettoyage des nos affaires personnelles éparpillées sur le sol qu´on ne voit pas sur cette photo). Au premier plan, la plateforme de la salle de bain dont les principaux éléments (toilettes, douches) étaient cimentés... Au second plan, la tente à plus de 20m de la plateformme à laquelle elle était sensé être attachée.

Tente du staff partie s´envoler...

Une de nos grandes tentes (appelées "suite") retournée par la tempête dont la course a été frénée par le Landcruiser garé par chance devant la tente en travaux cette nuit là. La tente est gonflée car elle est pleine de meubles en bois massifs qui ont miraculeusement presque tous résistés. Il nous faudra 5 heures de travail pour sortir les meubles, démonter la structure métallique très endommagée et

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