Novembre 2013. Nous sommes dans le Mara depuis 8 mois. Après le rush de la construction du campement, le rythme n´a pas vraiment baissé. Nous sommes ouvert depuis fin août mais les travaux d´agrandissement continuent entre deux groupes ce qui nous laisse peu de temps pour nous occuper de Lucas. Il vit depuis notre arrivée dans le Mara dans un monde d´adultes alors Ana veut se racheter et organiser une belle fête pour l´anniversaire de notre petit sauvage.
Elle propose d´inviter les enfants des employés mais comme la moyenne d´âge n´atteint pas les 20 ans, ils ne sont pas forcément très nombreux. Qu´à cela ne tienne, Waweru connaît tout le monde dans le village et les enfants de ses nombreux voisins seraient ravis de venir au campement.
Je suis garé au milieu de la place principale de Mara Rianda, le long d´une profonde ornière creusée par les pluies diluviennes, à l´ombre du grand acacia où les anciens du village aiment se retrouver pour palabrer. Waweru est parti en quête des heureux élus qui commencent à s´entasser à l´arrière de la Land Rover. Il y a rapidement deux fois plus d´ enfants que prévu et les noms ne correspondent pas à ceux qu´il m´avait annoncés. Je ne suis pas d´un naturel inquiet mais j´aimerai quand même savoir si les parents de ces enfants savent que nous les emmenons pendant plusieurs heures à 5 kilomètres d´ici. En guise de réponse, un sourire illumine le visage de Waweru. Les enfants sont livrés à eux-mêmes par ici – plutôt dans le bon sens du terme - ils partent seuls à l´école, distante parfois de plusieurs kilomètres, jouent pendant des heures dans le village et se déplacent aux alentours au gré de leur jeux et de leurs découvertes sans qu´aucun adulte ne vienne interférer. Les plus grands s´occupent des plus petits et il y a toujours un voisin prêt à aider en cas de nécessité.
Surexcités dans le 4x4, ils chantent, tapent des mains, s´échangent des regards humides de bonheur, se chamaillent à coups de chansons, d´accolades et de «Give me five!». Sur la piste cabossée qui nous chahute jusqu´au campement, ils sont debout et assis tout à la fois, s´émerveillent devant les animaux et une nature qu´ils semblent redécouvrir sous un nouveau jour depuis le tout terrain.
Les tentes flambant-neuf sont plus belles que des guirlandes de Noël, le restaurant du campement élégant comme ceux des films du cinéma du village (comprendre le seul bar avec un vieux magnétoscope VHS, une grosse télé et une batterie de voiture pour faire marcher le tout) et la maison dans l´arbre de Lucas est encore mieux que le château gonflable du nouveau centre commercial de Narok (dont beaucoup ont seulement entendu parlé). Le goûter et les jeux organisés par Ana les maintiennent dans l´émerveillement permanent. Pas de doute, ils sont aux anges.
Mais le plus beau reste à venir. Une petite fille au regard curieux s´approche d´un robinet qu´elle admire avec respect et circonspection. Elle analyse l´objet sous tous ses angles avant de se décider à l´ouvrir. Et quand l´eau coule et que le jet puissant et transparent éclabousse le lavabo, elle sursaute de surprise, tape dans ses mains toute excitée et ses yeux brillent de bonheur devant pareil tour de magie. L´effet sur notre petite troupe est instantané, ils se ruent tous vers l´objet du désir et se disputent qui pour ouvrir le robinet, qui pour le fermer, sous les rires, les encouragements et les applaudissements de leurs camarades.
Incroyable, cela marche à chaque fois.
La vérité sort assurément des jeux des enfants. Car l´eau est de loin le problème numéro un dans le Mara. L´absence d´eau courante et potable dans les maisons, la sécheresse qui brûle l´herbe et tue les troupeaux en été, les crues dévastatrices lors de la saison des pluies qui rendent impraticables les pistes et isolent des pans de terre entiers coincés entre de petits ruisseaux qui deviennent soudainement infranchissables (et le demeurent parfois pendant plusieurs semaines).
Le Mara, un des rares fleuves permanents de notre bout de savane sert tout à la fois de piscine pour crocodiles et hippopotames et pour les humains, de salle de bain, de lavoir communautaire et de source d´eau « potable » après ébullition - et de dysenterie en égales proportions. De frêles cyclistes débraillés y plongent leur bidons de 25 litres pour assurer l´approvisionnement du village. L´habit ne fait assurément pas le moine car leur puissance sous le soleil de plomb inspire le respect du rugbyman alors qu´ils poussent sans relâche leurs vieux vélos rouillés et surchargés ans la longue côte qui les mènent jusqu´au village, maintenant un équilibre précaire entre les pierres et les trous de la piste.
Manquer d´eau a assurément été notre plus grande crainte dans la gestion du campement. Les lampes à pétroles peuvent romantiquement couvrir une panne électrique, les ennuis mécaniques des tout terrain, souvent vécus comme des aventures par les clients, ne résistent pas à la solidarité du Mara et les problèmes d´approvisionnement en vivres peuvent se dépanner grâce à l´aide d´un campement voisin compréhensif. Mais que faire quand le réservoir de 10.000 litres est vide, quand la pompe à eau puisant dans la nappe phréatique sensée le remplir refuse de fonctionner ou quand le générateur qui l ´actionne ne démarre pas. Pas d´eau pour faire la cuisine, pas de douche pour nos clients qui rentrent poussiéreux de leur safaris. Un vrai cauchemar. Enfin, tout est relatif me direz-vous, mais pour les managers d´un campement touristique haut de gamme c´est assez stressant.
Alors quand la dernière goutte d´eau de notre réservoir coule et que le soir venu les hyènes ont conquis le terrain où notre pompe est plantée (à plus d´un kilomètre du campement) ou qu´un troupeau d´éléphants nous empêche d´y accéder, on improvise car il n´est pas concevable de pouvoir revenir bredouille. « Il faut contourner le troupeau face au vent pour que notre odeur ne leur parvienne pas» me dit Waweru. Mais comment fait-on quand le vent ne cesse de tourner ?
Et bien, tout le contraire bien-sûr. On tape bruyamment dans ses mains, crie de tous ses poumons voire même un peu plus quand le patriarche du troupeau semble se rendre compte de la supercherie et tourne la tête pour essayer de voir d´où viennent les bruits. Et à pied dans l´obscurité, désarmé et entouré d´hyènes en quête de leur dîner, on prie très fort pour que le générateur démarre vite et puisse ainsi couvrir le hululement des carnivores affamés à défaut de les éloigner.
Mais comme on dit par ici, ce sont les plaintes d´un homme au ventre plein. Nous stockons des bouteilles d´eau potable, nous achetons un deuxième réservoir et mettons en place une stratégie de « remplissage préventif » qui, entre deux pannes de la pompe à eau, une demi douzaine de fuites de réservoir, de nombreuses nuits au sommeil agité et presque autant de journées à réparer les canalisations éventrées ; couvrira tant bien que mal les besoins du campement.
Et à défaut d´un absolue tranquillité, nous offrira quelques histoires à raconter à nos petits enfants. Hakuna matata.
Anniversaire et visite de la classe de Lucas au campement
L´eau dans le Mara
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