Un écolier en uniforme court en pleine savane alors que le soleil s´approche de l´horizon. Il est en retard mais ce ne sont pas les réprimandes de sa mère qu´il craint. La punition peut être bien plus cruelle : la nuit approche et avec elle les dangers de la vie parmi les prédateurs. Plus tard, alors que la nuit est tombée, des cris percent l’obscurité. Aucun doute, ils viennent de la colline qui fait face au campement, mais impossible de deviner qui les émet. Les employés se bidonnent quand on cherche à comprendre l´animal et les circonstances qui justifient de tels braillements. Les bruits persistent, violentant la tranquillité de la nuit et semblant peu à peu se rapprocher de nous. Jusqu’à ce que la bête atteigne finalement le faible halo de lumière du campement dans l´immensité noire de la savane. Une silhouette titubante et hésitante. Un Maasai, les joues en sueur, rayonnant la faible lumière de nos lampes à pétrole électrifiées. Souriant quand on arrive finalement à le dévisager. D´un sourire gêné car ne sachant comment se comporter, bourré à ne pas tenir une ligne droite, honteux mais heureux car il a fait la plus grande partie du trajet qui l´amène jusqu´à la Manyatta voisine plantée au milieu de nulle part à 2 km d´ici. Dans la savane, on ne crie pour exprimer sa joie alcoolique, on crie pour sauver sa pomme en éloignant les bêtes sauvages. Mais tous n´ont pas la même chance. Quelques jours plus tard, on retrouve le corps d´un adolescent mutilé pendu à un arbre. Ses amis en moto l´ont laissé la veille au soir à quelques centaines de mètres de sa cabane aux abords de Mara Rianda. Ils ne savaient pas qu´un troupeau d´éléphants rodait dans les parages. Les villageois ne tardent pas à se mobiliser, ils partent ou groupe, armés comme ils le peuvent pour une battue désordonnée à pied, en piki-piki et même avec un vieux 4×4. La loi du talion doit s´appliquer, le sang doit couler. Un éléphant qui passait par là en fera les frais. Pas de doute, c´est lui le tueur d´hommes, alors on lui fait son affaire pour apaiser sa colère, beugler la dureté de la vie sauvage et pour avoir l´illusion ne serait-ce qu´un instant d´avoir le contrôle de sa destinée. Pour multiplier l´injustice au lieu de la combattre. Le groupe d´éléphants auquel appartenait l´infortuné avait pris possession de Kandili Camp la veille. Nous étions aux aguets – une lampe puissante suffit à les éloigner la nuit – mais en journée les éléphants sont les rois. Ils étaient nombreux – plus d´une quarantaine et s´en donnaient à cœur joie pour déraciner les acacias qui protégeaient le campement. Il est tellement plus simple de manger les branches d´un arbre couché qu´à la verticale. Et pourquoi se préoccuper de l´environnent quand on est si fort ? L´Homme pourra difficilement les blâmer. Nos tentatives pour les éloigner avait été infructueuses : mon pauvre Land Rover ne faisant pas le poids devant les charges du patriarche du groupe. William qui surveille nos invités indésirables toute la journée se rend compte très rapidement que quelque chose ne va pas. Le pisteur a senti la mort, il a vu le vol des rapaces. Quand Ana, Lucas et William arrivent sur les lieux, les vautours plongent leurs cous sans poils dans le cadavre essayant de déchirer ce qu´ils peuvent de leur bec puissant – mais la tâche n´est pas facile car la putréfaction n´a pas encore fait effet. Une hyène s´approche alléchée par ce morceau de choix et les oiseaux de malheur deviennent spectateurs, aux premières loges d´une scène qu´ils ne quitteront pas trois jours durant. La patience est une qualité que la nécessite impose. C´est qu´on ne plaisante pas avec la hiérarchie dans la savane. Tous libèrent l´espace quand les humains s´approchent. Lucas regarde la scène concentré mais pas impressionné. Il promène sa girafe en peluche entre les traces de sang, une oreille découpéegrande comme un paellera familiale et un mastodonte couché sur le côté, comme endormi. Une peau rêche et calleuse comme du papier de verre, des poils durs comme du fil de fer, un ventre qu´il ne tarde pas à escalader, la gueule défoncée par la main de l´homme qui a déjà retiré les défenses de l´animal. Le sang a séché, le ventre n´est pas encore gonflé ni crevé par les charognards, l´odeur est encore supportable. Les gardes de la Réserve ne tardent pas à arriver en nombre. Constater la mort d´un animal d´une espèce protégée par les uns, décimée par les autres, faire un rapport, éloigner les curieux ; il y a de quoi faire. C´est bien sûr illégal de tuer un animal sauvage au Kenya, la braconnerie est sévèrement punie, alors ces Muzungus des campements voisins ne doivent pas savoir, ils sont renvoyés sans ménagement. Les attitudes sont agressives, les commandements sans appels ni fondements juridiques, l´éducation disparaît devant la gravité de la situation : il s´agit d´une histoire interne qui ne nous regarde pas. Personne ne l´avoue mais tout le monde le sait. Il n´y aura pas d´enquête, les villageois ont déjà bien trop souffert. Hyènes, renards, vautours, marabouts et même les scarabées - pour les excréments des intestins et les fourmis pour tout le reste. Le malheur d´une famille Maasai fera le festin des charognards. Le crane, le tibia et les hanches finiront dans l´exposition ossuaire du Kandili Camp. Rien n´arrête la marche de la vie dans le Mara.
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OUT of Kenya
Tranches de vie d´une famille franco-espagnole
partie s´installer dans le Mara
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