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Perdu pour de vrai


J´ai découvert le sens du mot « perdu » au Kenya. Enfin pas n´importe où au Kenya, sur une piste qui n´en était pas une - des marques de pneus imprimés dans la terre tout au plus - entre des acacias, les pierres et quelques zèbres qui passaient par là. Dans la savane, au milieu de nulle part.


En guise de bizutage, j´ai eu droit préalablement à une mise en bouche dans l´effervescence des zones industrielles de Nairobi. Car la capitale kényane trompe bien son muzungu (1) novice avec un plan somme toute assez simple et carré - probablement d´origine colonial – qui lui fait croire qu´il pourra facilement l´apprivoiser. Mais l´expérience est toute autre : l´absence de numérotation des immeubles et un tracé littéralement kilométrique des grands axes réduisent sérieusement les possibilités de trouver le petit fournisseur pourtant tant recherché.

Vous êtes-vous jamais posé la question de savoir comment écrire une adresse dans un pays où les facteurs ne daignent pas quitter leurs bureaux de poste pour distribuer le courrier ?


A Nairobi on navigue à vue entre les centres commerciaux, les commerces emblématiques et les plus grands immeubles baptisés avec fierté par leur propriétaires Ces points de repères sont autant de balises dans un océan de vie urbanistique en mouvement perpétuel au gré des marées de marchés qui inondent les trottoirs (que l´inexpérimenté occidental croit improvisés et désordonnés) et des chantiers qui se multiplient comme des mauvaises algues ou plutôt comme une forêt de bambous dont les enchevêtrements forment des échafaudages s´élevant parfois à plus de 50 mètres du sol. La croissance frénétique de la ville est palpable et stressante pour l´Européen à la croissance molle. La vie n´attend pas à Nairobi ; le rythme du développement doit suivre la croissance d´une classe moyenne en plein boom, avide de confort et de capitalisme.


Dans les petites villes, la tâche est encore plus ardue car les noms des rues disparaissent tout simplement et les immeubles balises ne sont pas plus hauts que ceux qui les entourent. Et comment, dans un village, déterminer où passent les rues quand les baraques de tôles ondulées et de blocs de béton plantées au gré d´une logique urbanistique impénétrable s´entêtent à ne pas s´aligner ?


Mais les zones habités présentent un avantage indéniable : ses habitants ; illuminés par le sourire et l´envie d´aider celui qui se perd dans l´anarchie qui fait le quotidien de leur vie.

La savane, c´est une autre paire de manches.

Une nuit sans lune, sans autre repère visuel que l´arbre suivant éclairé par les phares de mon tout terrain, je tourne en rond à la recherche de mon chemin. Comment, dans l´obscurité, trouver entre les multiples traces de pneus une piste qui ne figure sur aucune carte, en l´absence de points de repères artificiels et avec pour seuls témoins les animaux omniprésents mais peu causeurs ?

Mariko, le fils d´un des propriétaires du terrain où se dresse Kandili Camp était pourtant confiant trois heures plus tôt. L´enfant du pays m´avait assuré qu´il pourrait me guider dans le noir du village de brousse au campement. A peine 5 km séparent ces deux points ; une distance qui paraît maintenant insurmontable.


Peu de temps après avoir abandonné Mara Rianda, Mariko est descendu du véhicule pour mieux lire les indices sur le terrain et me fait zigzaguer entre les arbres et les rochers à 3km/h. La scène est irréelle : je conduis un bruyant et puissant 4x4 au pas d´un frêle Maasai en tongs, un jambe de pantalon remontée jusqu´au genou, boitant dans le noir appuyé sur son bâton en bois d´olive. Mon Charlie Chaplin maasai s´arrête ici et là, me faisant des signes avec une assurance décroissante au fil des minutes qui se transforment en quarts d´heure puis en demi-heures puis... la fatigue m´empêche de continuer à compter.

Il est plus de 23h30, Ana et Lucas, restés seuls au campement, doivent sérieusement s´inquiéter. Mais quand l ´espoir se fait la malle, apparaissent du néant deux maassais dans une zone où ils n´ont aucune raison d´être à cette heure là (la première manyatta est à des kilomètres de là). La discussion s´engage en maa (2) – je ne comprends pas un mot bien sûr - mais les yeux brillants de plaisir d´aider un muzungu et de monter dans son gros 4x4, m´en disent plus sur leurs intentions. Les deux grand-pères s´installent sur le siège passager, nous remettent sur le « droit » chemin et, par l´intermédiaire de Mariko reconverti en traducteur, profitent de l´occasion pour me demander du travail. En moins de dix minutes l´affaire est pliée ; nous regagnons le campement. Mariko tête basse sait qu´il se fera chambrer pendant des semaines par tous les autres employés du campement.

Et puis il est des fois où on n´est qu´à moitié perdu. On sait approximativement où l´on est – sur la piste entre Lemek et Aitong - mais quand votre véhicule s´enfonce dans une profonde ornière jusqu´au châssis, comment indiquer le point exact au camion dépanneur ? Ceci-dit, cette information ne vous serait pas forcément complètement utile car en ce point précis votre téléphone ne capte aucun réseau (comme dans pas mal d´autres d´ailleurs) et parce-que le service d´assistance routière reste encore à inventer dans le Mara (3).

Et comment porter assistance ou plutôt «où porter assistance quand un client en perdition vous appelle du fin fond de la savane? Une muzungu vivant à Nairobi décide de passer le week-end au campement. C´est la première fois qu´elle part dans le Mara depuis qu´elle s´est installée à Nairobi. Son mari est en voyage d´affaires, alors elle part seule dans son 4x4 flambant neuf avec ses deux enfants en début de matinée. L´excitation du voyage a pris le pas sur les préparatifs et elle nous appelle au bout de quelques heures pour nous demander son chemin. Mais elle est déjà en pleine savane et a visiblement pris une mauvaise piste (il y a trois entrées possibles pour atteindre le Mara). Nous ne savons même pas si elle est bien resté sur cette piste car elle est incapable de nous expliquer comment elle est arrivé là. Nous connaissons tous les arbres, croisements, baraques, hameaux, pancartes rouillées qui jalonnent « notre piste » mais pas ceux des autres. Et puis au fil de ses appels angoissés, le paysage ne semble pas changer : animaux, acacias, marques de roues dans la terre. Le petit point bleu sur son portable est au milieu d´un océan de nulle-part où aucune route ne figurent et les voitures qu´elle croise ne peuvent au mieux que lui montrer une direction à suivre en pointant du doigt. Son périple durera plus de 12 heures, le double du trajet normal. Ses enfants arriveront affamés et fatigués mais surtout soulagés et heureux d´avoir vaincu la savane. Et puis ils auront appris qu´on ne part pas dans la savane sans repérage préalable, sans vivres en quantité suffisante et pour les urgences, sans outils ni couverture pour passer la nuit.

Alors de grâce, la prochaine fois que vous ne trouvez plus votre chemin, ne dites pas que vous êtes perdus. Les pancartes, indications, fléchages, constructions, bornes kilométriques, Googlemap, GPS et services d´assistance vous feront immédiatement mentir.


On ne se perd pas en Europe, on prend une mauvais chemin tout au plus. La vie moderne laisse peu de place aux imprévus et elle y perd du coup ce goût d´aventure, ces moments de vie euphorisants et pénibles, qui vous mettent à l´épreuve, vous forcent à changer de rythme, à sortir de votre zone de confort et vous font découvrir in fine la valeur de la solidarité et les ressources inestimables qui sont en vous.


  1. Muzungu : étranger en Swahili

  2. Manyatta : petit village traditionnel maasai où les maisons sont disposés en ovale.

  3. Lire le post « En route ! » pour savoir comment je m´en suis sorti

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