Si la Réserve Nationale du Mara s´ingéniait à donner aux visiteurs une brochure ou ne serait-ce qu´une page photocopiée pour justifier les 80$ de l´entrée, elle ne manquerait pas d´indiquer que le Mara est la région qui présente la plus forte densité de lions au monde. Et comme personne ne se soucie vraiment de compter leurs ennemis jurés si peu photogéniques et que tout le monde méprise – j´ai nommé les hyènes – j´ajoute sans preuve mais avec une certaine expérience du terrain qu´il doit en être de même pour les hyènes.
Fernando, actionnaire du campement et avant tout amoureux éperdu de la savane africaine s´est amusé un après midi à compter les hyènes qui rodaient autour du campement. Il abandonna l ´exercice au bout de 76 unités comprenant qu´il aurait du mal à arriver au bout de la horde sans compromettre son sacro-saint gin tonic avec un zeste de coucher de soleil. On reconnaît là un indéniablement avantage des sociétés matriarcales (les hyènes femelles sont plus corpulentes et plus fortes que les mâles) : les petits peuvent grandir en sécurité contrairement aux magnifiques simbas (1) qui font trimer leur harem pour les nourrir et sacrifient leurs petits mâles pour éviter une future concurrence.
Une longue introduction pour remettre dans leur contexte les nuits à Kandili Camp. Aucune barrière n´entrave la circulation des animaux et comme la présence humaine et surtout la lumière artificielle rassure les herbivores le soir venu, notre jardin fait de bouts de savane est très fréquenté la nuit. On s´habitue très rapidement à la présence des animaux - somme toute très naturelle – mais beaucoup moins au niveau sonore qu´ils génèrent une fois la nuit tombée. Compter les moutons fait dormir dit-on, écouter les herbivores brouter, brailler, se chamailler, se faire poursuivre puis dévorer par des prédateurs qui se disputent le bout de gras avec des charognards est une technique beaucoup moins efficace.
Et puis les vibrations sur le sol d´un troupeau apeuré, courant dans tous les sens, ça vous réveille en sursaut. Une horde de hyènes se partageant les restes d´un gnou chassé préalablement par un lion, couvre largement le volume du son de l´ordinateur sur lequel vous essayez de voir un film. Alors, paradoxalement, les nuits n´étaient calmes que les jours d´averses tropicales. Le reste du temps – que le ciel soit dégagé, couvert ou qu´il pleuve sans excès, la chasse était ouverte. (Contrairement aux idées reçues, la pluie est une aubaine pour les prédateurs car les sens des herbivores sont amoindris sous l´eau).
Premier tour de la Coupe du Monde 2014. Le campement est vide (de client), le hall d´accueil de Kandili Camp est plein (d´employés). Nous sommes tous rivés devant le petit écran télé. Je suis au moins autant subjugué par ce petit miracle qui nous a permis d´installer une antenne et une télé en pleine brousse que par le jeu de l´équipe de France qui se balade littéralement fâce à la Suisse. Johnmark, le chef cuisinier joue des coudes : « Aldo, I think there is a lion very close ».
J´y prête peu d´attention tout à mon orgasme footballistique. Et puis à ma décharge, nous commencions à être habitués aux visites nocturnes de « nos lions résidents ». Une lionne ayant fui son groupe pour protéger son fils a trouvé la bonne idée de s´installer deux mois plus tôt avec ses marmailles à deux kilomètres du campement. Dans un petit canyon où s´alignent de gros rochers et de gigantesques arbres à saucisses baptisé « Leopard Gorge » par la BBC. N´en déplaise aux anglais, le léopard nomade par nature n´est pas resté dans le coin une fois le documentaire mis en boite et les hyènes en ont profité pour s´installer – en nombre (un commentaire inutile pour les lecteurs attentifs). Et comme le territoire était vierge de lion, notre petite famille a pu en prendre le contrôle (tout relatif) sans avoir à mener une bataille qu´elle n´était pas en état de gagner vu l´âge des petits.
En bons voisins, ils viennent régulièrement nous rendre visite et il n´est pas rare de voir les petits jouer devant nos tentes. Mais ce soir l´histoire est plus sérieuse. Nos petits ont bien grandi et le zèbre entrouvert de la queue jusqu´au coup ne cherchera pas (ou plus) à les contredire. Mais je m´avance, car quand la mi-temps apporte son lot de publicité pour des marques de bière et de voitures, l´obscurité nous cache la scène du carnage.
Nous disposons de peu de temps – les 15 minutes de la mi-temps pour être exact – ce qui limite sérieusement les préparations. Je pars réveiller Lucas que j´envoies encore endormi atterrir sur mes épaules. Nous plongeons sans plus attendre – en restant « bien groupir » - dans la nuit noire, non sans avoir allumé préalablement toutes les lumières du restaurant. Un instant de doute me saisit quand l´obscurité nous aspire, aucun de nous n´est armé - les ascaris (2) ne sont pas là ce soir car il n´y a pas de clients - et contrairement à leurs aînés, les Maasais qui m´entourent n´ont jamais au à se battre contre des lions.
Mais la proximité de la scène de chasse ne permet pas d´approfondir l´évaluation des risques que je fais prendre à mon fils car nous voyons au bout de quelques secondes le reflet rouge des yeux de trois lions dans le faisceau de nos lampes torches. Ils nous cèdent néanmoins le terrain le plus naturellement du monde (William m´expliquera le lendemain que « notre » petite famille de lions sait que le campement est un territoire humain et qu´ils respectent ce territoire comme tel).
Nous commençons timidement à prendre des photos du pauvre zèbre venu finir ses jours derrière le Kuni-booster (3) de la tente de Fernando. Et puis rapidement, les troupes s´animent ; tous les employés présents défilent devant ce photo-call improvisé ; sauf Lucas qui préfère retrouver son lit douillet plutôt que de prolonger dans la boucherie. A tout moment les lions sont là, à une quinzaine de mètres tout au plus. Nous nous relayons pour les surveiller - mais ils ne font preuve d´aucun signe d´agressivité` ni d´impatience. Et quand nous repartons voir la seconde mi-temps du match, ils reviennent calmement terminer leur repas remerciant eux aussi les Dieux du football.
--------------------------------------------- Les perspicaces lecteurs auront remarqué que la premère photo illustrant cette anecdote correspond aux préparatif d´un match de cette même Coupe du Monde mais pour une autre équipe nationale...
Notes:
lion en Swahili
agent de sécurité en Swahili – les gardes Maasais chargés de protéger les clients des animaux sauvages
chaudière en tôle fonctionnant avec du bois (le cylindre noir sur les photos)
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LE PHOTO CALL
"NOTRE" FAMILLE DE LIONS (et la photographe)
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